Jean Michel Lucas
Maître de conférences à l’Université Rennes 2
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En matière culturelle, on doit bien admettre que le projet de loi de réforme des collectivités est d’une grande médiocrité. Il réduit, en effet, la mission publique des élus territoriaux au rôle d’entrepreneurs de services culturels, essentiellement voués à répondre aux goûts des différentes catégories de population du territoire. On l’a vu clairement dans le texte du gouvernement puisque, au nom de cette proximité avec les habitants, seul le bloc communal avait compétence pour financer ces services culturels.
Face à cette caricature des enjeux, si éloignés des valeurs défendues par Malraux, les professionnels de la culture – et leurs élus – ont réagi fortement.
Ils ont déclaré « la culture en danger » mais, pour la plupart d’entre eux, hormis l’Ufisc, ils ont réagi à contresens, car ils n’ont pas exigé d’autres missions publiques que celle de continuer à satisfaire les différentes clientèles culturelles. Ils ont uniquement demandé à percevoir, comme actuellement, des subventions de plusieurs collectivités au titre de leur compétence générale.
En deuxième lecture, les députés ont ainsi autorisé les Communes à partager les frais avec les Départements et les Régions, sauvant surtout,
par ce biais, les équilibres comptables des lourds équipements des centres-villes des villes centres !
Pour obtenir cet amendement, les députés ont plaidé l’utilité de ces services culturels en tant que sources d’attractivité du territoire. Cet argument est certes réaliste et largement partagé par les médias, mais il consacre l’idée que l’intervention culturelle publique doit permettre à l’élu d’asseoir la domination de son terri-toire sur les autres. Ainsi, la loi appelle, de fait, l’acteur culturel à devenir une munition de la guerre généralisée pour devenir « capitale de la culture » ou « pôle majeur d’économie créative » ! Curieuse éthique pour la politique publique que de revendiquer cette empoignade entre potentiels culturels, surtout à l’heure où les élus se réclament de l’Agenda 21 et de son harmonie planétaire !
C’est pourquoi il faut affirmer que cette conception de la politique culturelle est médiocre au regard des enjeux culturels du siècle. Reprenons au point de départ : à l’heure de la mondialisation, chaque territoire est composé de personnes qui, seules ou en groupe, ont leur propre vision du monde. Chacun, dans la liberté et la dignité qui lui sont reconnues par les droits de l’homme, a sonpropre regardculturel sur lui-même et sur les autres.
Le risque est grand et permanent que toutes ces cultures différentes forment des réseaux qui cohabitent dans une tolérance froide ou, pis, s’opposent et se haïssent. L’enjeu politique ne peut donc plus se contenter de favoriser la consommation privée de biens culturels. Il devient d’élaborer collectivement les valeurs communes pour que ces multiples et complexes relations entre les cultures des personnes puissent « vivre ensemble » dans l’hétérogénéité de leurs libertés. L’incompréhensible est que cette approche humaniste, et non boutiquière, de la responsabilité culturelle publique a déjà été adoptée officiellement par les élus républicains français, lors de la ratification des accords de l’Unesco sur la diversité culturelle.
La réforme territoriale ne peut ignorer cet engagement culturel international et, par conséquent, la loi devrait, en urgence, exiger que toutes les collectivités mettent en œuvre, par exemple, l’article 2 de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle : « Dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est indispensable d’assurer une interaction harmonieuse et un vouloir-vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques. Des politiques favorisant l’inclusion et la participation de tous les citoyens sont garantes de la cohésion sociale, de la vitalité de la société civile et de la paix. »
Question d’éthique pour l’enjeu culturel public mais, aussi, de pertinence politique au regard des lourdes tensions « Le risque est grand que ces cultures différentes forment des réseaux qui cohabitent dans une tolérance froide ou, pis, s’opposent et se haïssent »