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Varsovie : intervention colloque sur la "Diplomatie Culturelle"
octobre 2003
Ferdinand Richard
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Conférence "More Europe" / Varsovie / 9-11 octobre 2003
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Second panel :
« Public diplomacy versus cultural policies : foreign cultural policies, cultural diplomacy, and cultural cooperation – all the same ? »
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Ferdinand Richard.
C’est le modeste témoignage d’un usager ordinaire qui s’exprime ici et non pas la position éclairée d’un théoricien ou d’un haut fonctionnaire spécialiste de ces questions.
Je dirige en France un Centre National de Développement pour les Musiques Actuelles, une unité de travail indépendante dédiée à l’accompagnement des émergences artistiques et de leurs naissantes structures de médiation.
Pour ce faire, nous nous sommes dotés au fil des ans d’un dispositif assez complet d’ateliers de pratique artistique, dispositif que nous avons étendu depuis plusieurs années à des opérations de coopération internationale. Mais pourtant nous n’exportons pas d’artistes français.
Notre structure est elle-même intégrée dans un grand périmètre culturel dans la ville de Marseille, appelé « la Friche Belle de Mai ». Ce périmètre abrite environ 70 structures culturelles de toutes disciplines, de toutes tailles, de tous statuts.
La plupart d’entre elles mènent des actions de coopération culturelle ou artistiques en Europe ou au-delà, mais sous des formes très variées, et rencontrent, au fil des ans, des problématiques communes, mais aussi d’imprévisibles paradoxes.
Partant de cette position, il me semble utile de vous transmettre, vu du terrain, ce qui me semble être les évolutions récentes en ce qui concerne la répercution des diplomaties publiques sur le travail de coopération culturelle ou artistique internationale :
La plupart des donneurs d’ordre, des soutiens institutionnels sur ce sujet, émanent des ministères des Affaires Etrangères, ou des directions internationales des collectivités territoriales, et plus rarement des autorités culturelles en tant que telles, ce qui veut dire implicitement que ces commandes sont plutôt de caractère stratégique et non pas culturelle.
Cette évolution n’est pas récente, mais la globalisation croissante des marchés et la concurrence permanente qu’elle entraîne ravive, pour les états ou blocs d’état qui en sont les plus menacés, cette pression stratégique.
Pour faire face à ces défis, tous les matériaux devraient être utilisés, la coopération culturelle pouvant en être l’un des plus prisés, parceque présentant un excellent rapport qualité-prix. La remarque est brutale, certes, mais elle ne l’est pas plus que les inévitables arguments de restrictions de crédit, arguments largement utilisés par les bailleurs de fonds réticents...
Tout ceci implique donc qu’au moment où l’on conclut une sorte de contrat entre l’opérateur culturel et l’institution, les termes de la négociation doivent être clairement compris de part et d’autre, l’objectif commun étant entendu comme les deux facettes bien différentes d’une même pièce.
Incidemment, ceci remet aussi la culture là d’où elle ne devrait jamais partir, c’est-à-dire au coeur de la société (et non pas à côté), et pour ce qui nous concerne aujourd’hui au coeur du dialogue des communautés, fût-il international.
Finalement, une ultime provocation tendrait à dire qu’il ne devrait pas avoir de politique culturelle en tant que telle, mais un volet culturel à chaque démarche politique, qu’elle soit relations internationales, politique de la ville, développement local et durable, paix et sécurité, etc..., à condition évidemment que l’excellence artistique n’en fasse pas les frais.
Comme d’autres avant lui, notre pays, la France, met en place depuis de nombreuses années une décentralisation systématique de ses institutions. Vu du terrain, le résultat en est plus ou moins harmonieux, ou plus ou moins rapide, selon les activités et les zones territoriales concernées, mais il est clair que nous voyons émerger, au niveau des collectivités territoriales, deux tendances, qui, sans outrepasser les prérogatives de l’Etat, posent cependant des questions sur le rapport de celui-ci avec ces collectivités, et, au-delà, avec la communauté européenne.
L’une concerne les politiques culturelles. Depuis peu d’années, dans mon pays, l’argent public dédié à la Culture provient majoritairement des collectivités territoriales, et il s’agit là d’un tournant historique..(au passage, il convient de souligner qu’aujourd’hui, si l’on veut valablement comparer le niveau de financement public pour la culture dans les différents pays de l’UE européenne, il faut tenir compte de ces différents acteurs, et pas seulement des ministères d’état, quand ils existent).
L’autre tendance concerne les relations internationales, qui dépassent évidemment, et de très loin, ce que pouvait autrefois représenter les comités de jumelage entre telle ou telle collectivité, puisqu’elles sont souvent l’expression de la volonté des acteurs économiques ou politiques locaux de jouer un rôle dans cette mondialisation dont nous parlions au paragraphe précédent.
Pour ces collectivités, l’accès à cette arène globale se fait graduellement, le premier objectif stratégique étant d’obtenir un relatif leadership, ou au moins une confortable visibilité, à l’échelon des relations inter-régionales.
La construction européenne joue à cet égard le rôle d’une caisse de résonance, et cet ensemble d’évènements concomitants fait émerger ce curieux paradoxe que ce sont bien les collectivités territoriales qui ont le plus à gagner de l’utilisation de la culture dans leurs relations "inter-régionales" pour ne pas dire internationales. A cet égard, la logique voudrait donc que ce soit elles, et non pas les états-membres, qui émettent à terme les demandes les plus pressantes pour ce qui concernerait quelque chose de l’ordre d’une politique culturelle intégrée au niveau de l’Union.
Et elles y montrent d’ailleurs de plus en plus d’aisance...
L’opérateur de terrain que je suis y retrouve son compte, puisqu’il peut discuter localement des projections extra-territoriales qu’il peut imaginer pour son travail, avec des interlocuteurs qui le connaissent au quotidien, et surtout dans une perspective beaucoup plus intégrée au développement de la société locale, quel qu’en soit le niveau (éducation, création d’entreprise, lien social, etc...) qu’à un niveau national, où la dynamique inter-ministérielle se préoccupe en général de grands projets, pas forcément d’aménagement de proximité.
Cependant, le danger d’une instrumentalisation brutale par les mécanismes de la communication politique locale, ou encore par une "touristisation culturelle" effrénée, reste une réalité difficile à maîtriser. Il y a là matière à dépoussiérer certains codes de déontologie, éventuellement sous l’égide des états, de manière un peu comparable à ce qui se fait (ou devrait se faire) dans le cadre des politiques éducatives.
Les états, par contre, se retrouvent désorientés face à l’enjeu d’une impossible politique culturelle qui se voudrait commune, autant que la politique agricole a pu l’être (si tenté que la PAC ait totalement atteint son enjeu d’intégration ...), car la dynamique en la matière est différente de ce que les industries agro-alimentaires ont pu générer en leur temps. Une fois encore, le glissement progressif de la Culture vers le Loisir a dissimulé cette différence fondamentale : en matière de culture, il ne s’agit pas de produire, mais d’exister, d’affirmer une
existence au reste du monde.
Le meilleur outil de renforcement des stéréotypes est l’industrie des loisirs ; le meilleur outil pour combattre les stéréotypes reste la culture.
La définition d’une politique culturelle partagée et portée par les états-membres de l’espace européen (y compris dans leur dimension extra-européenne) semble actuellement prise en étau dans le combat qui oppose ce que l’on se contentera d’appeler pour l’instant le sursaut des identités régionales (fussent-elles chimériques, réelles, ou politiquement manipulées) et la moulinette d’un commun dénominateur culturel mondial, forcément globalisé autour de la médiocre qualité des industries des loisirs.
A ce niveau d’affrontement, les états ont peu de latitude d’action, la "perception culturelle" qu’en ont leurs propres citoyens s’amenuise dangereusement, l’identification à la nation dont ils peuvent faire preuve étant inversement proportionnelle à l’uniformisation de leur consommation (y compris culturelle), et la lutte pour l’obtention de parts de marché dans le secteur des loisirs ou dans celui de la communication brouille encore plus les objectifs et définitions d’une éventuelle politique culturelle nationale.
En outre, il semble que les mécanismes de promotion (pour ne pas dire de propagande) du bon goût artistique national (et la concurrence qu’ils impliquent avec d’autres bons goûts nationaux !!!)) sont aujourd’hui perçus comme peu glorieux par une majorité de jeunes citoyens. A la limite, l’appartenance à une culture se revendique plus aujourd’hui au niveau des terroirs, des artisanats, ou au niveau de tendances mondiales, plutôt qu’au niveau d’un Art Officiel National.
C’est donc possiblement au niveau des pratiques culturelles des citoyens (et non pas au niveau de leur consommation dite culturelle) qu’un échange international peut gagner plus de légitimité.
Compte tenu de cet espace d’évolution de plus en plus restreint, il semble que les "diplomaties culturelles nationales", si elles devaient avoir une réalité, ne pourraient qu’opérer au sein d’un pacte européen, mais sur quatre niveaux apparemment contradictoires :
-1) Au niveau de ce qui est au fondement même des Etats, c’est-à-dire garantir au plus près possible l’égalité des droits (en l’occurance les droits culturels) entre les citoyens, fussent-ils habitants de régions européennes différentes, quelques soient les velléités expansionnistes de ces régions. Eventuellement porter ces droits jusqu’au droit pour ces régions à l’assistance technique des Etats par le truchement d’une subsidiarité européenne, mais pas au-delà.
-2) Au niveau de ce qui est au fondement même des libertés individuelles, c’est-à-dire garantir au plus haut possible la qualité des émergences artistiques, garantir leur protection contre toute utilisation partisane, protéger leur parcours, garantir cette excellence et la faire partager au plus modeste village de l’espace européen.
-3) Au niveau de ce qui est au fondement même de la prospective européenne, c’est-à-dire la contribution à la création d’un espace de vie harmonieux, intégrant toutes les dimensions humaines, et conçu de manière suffisamment intelligente pour résister à toute dérive anti-démocratique, en interne comme en externe. Bien entendu, ceci suppose en préalable que les délégués des états-membres dans les instances européennes, qu’ils soient élus ou nommés, vivent eux-mêmes au quotidien le paragraphe 4 de l’article 151 du Traité d’Amsterdam, ce qui, sans vouloir alimenter la moindre polémique, semble loin d’être une pratique largement partagée, surtout si l’on considère les récentes propositions de la Convention Européenne.
-4) Il convient enfin d’évoquer ici l’émergence, plus ou moins consciente et plus ou moins réussie, de ce qui pourrait être une politique culturelle d’appui prodiguée par l’Union Européenne à d’autres régions du monde qui en feraient la demande. Je pense bien sûr à tout ce qui se fait actuellement à partir des délégations de l’Union dans les pays ACP en terme d’aide au développement culturel, par exemple, ou encore au soutien apporté à la présence sur le sol européen de productions extra-européennes.
Ces initiatives croisent parfois contradictoirement des politiques d’états-membres, et l’on peut sentir actuellement, vu du terrain, un déficit de prospective commune, même si, de plus en plus souvent, des accords locaux, tacites et ponctuels peuvent survenir sur le terrain entre représentants d’états-nations et délégations de l’Union. C’est pourtant un enjeu considérable, car nous connaissons tous ce paradoxe que le renforcement, à l’extèrieur, de la perception d’une union européenne cohérente fait surgir en interne, dans l’esprit même de nos concitoyens européens, l’idée d’une appartenance à une éthique commune, à quelque chose de différent et d’important, qui ne serait pas l’esclave de logiques mercantiles déshumanisées.
Portée à l’extèrieur de l’Union, cette affirmation est et sera de plus en plus un combat de tous les instants. La nature a horreur du vide, et nous voyons bien sur le terrain à quelle vitesse l’abandon d’anciennes politiques de coopération culturelle internationales est remplacée par de nouveaux expansionnismes, qu’ils soient à visée économique, politique ou religieuse.
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En conclusion, l’utilité de ce qui est nommé ici une "diplomatie culturelle" devient assez évidente. A certains égards, on pourrait même parler de symbiose entre culture et diplomatie, cette dernière constituant l’accordage de différentes cultures, de différents styles de vie, et au-delà même de cet accordage, cette relation organisée peut constituer le cadre général des vitales interactions de ces cultures, celles que poursuivent tous les jours les artistes sur les routes d’Europe..
D’une certaine manière, elle ré-insuffle une quantité appropriée d’humanisme à chaque niveau de l’Union.
Elle aide les états- membres à assumer leur passage à une autre modernité.
Elle aide le citoyen européen à vivre simplement mais dignement sa relation personnelle avec le reste de l’humanité.
En théorie, la diplomatie pourrait être une belle forme artistique !
Ferdinand Richard, Varsovie, 10 octobre 2003